Nous n'avions pour eux aucune haine.
Ils faisaient métier de loups comme nous faisions métier d'hommes.
Ils étaient créatures de Dieu.
Comme nous.
Ils étaient nés prédateurs.
Comme l'homme.
Mais ils étaient restés prédateurs, alors que l'homme était devenu destructeur.
Nous, les hommes, nous sommes tous séparés. Dans le ciel fraternisent les oiseaux, et les loups sur la terre.
En parlant du loup, on en voit la queue.
vous les hommes
Je vous connais depuis l'époque où la seule lumière était celle du soleil ou de la lune.
Je vous ai observés dans la forêt autrefois vaste et impénétrable.
J'étais témoin quand vous avez découvert le feu et créé d'étranges outils.
Tapi sur les crêtes, j'ai suivi vos chasses et jalousé vos succès.
J'ai dévoré vos miettes et vous avez mangé les miennes.
J'ai écouté vos chants et observé vos ombres mouvantes autour du feu.
A une époque si reculée que je m'en souviens à peine, quelques-uns d'entre nous vous ont rejoint pour se chauffer à ce feu.
Nous avons intégré vos meutes, nous avons participé à vos chasses, nous avons protégé vos petits et nous vous avons aidés, comme nous vous avons craints et aimés.
Nous avons longtemps vécu côte à côte. Nous étions très semblables.
C'est pourquoi certains d'entre nous vous ont adoptés.
Certains d'entre vous me respectent, moi le sauvage.
Je suis un bon chasseur, je vous ai respectés aussi. Vous étiez de bons chasseurs.
Je vous observais lorsque vous chassiez en meute avec ceux qui s'étaient apprivoisés, et que vous attrapiez la viande.
C'était le temps de l'abondance.
Vous étiez peu nombreux alors.
Les forêts étaient vastes.
La nuit, nos hurlements appelaient les nôtres qui vous avaient rejoints.
Certains revenaient chasser avec nous.
Nous en mangions d'autres parce qu'ils étaient devenus tout à fait étranges.
Il en fut ainsi pendant très longtemps, et c'était bien. Parfois, je vous volais de la viande, comme vous m'en voliez.
Vous souvenez-vous des temps de famines, lorsque la neige était profonde et que vous mangiez la viande que nous avions tuée?
C'était un jeu.
C'était une dette.
On pourrait dire que c'était une promesse.
Comme beaucoup de ceux qui s'étaient apprivoisés, la plupart d'entre vous sont devenus très étranges.
Aujourd'hui, je ne reconnais plus certains des domestiqués.
Je ne reconnais plus certains d'entre vous. Nous étions si semblables autrefois.
Vous avez également domestiqué la viande. Lorsque j'ai commencé à chasser votre viande apprivoisée (ce sont des créatures stupides qui n'honorent pas la mort, mais la viande sauvage a disparue), vous m'avez pourchassé.
Je ne comprends pas.
Lorsque vos meutes ont grossi et se sont fait la guerre, je vous ai observés.
J'ai assisté à vos grandes batailles. J'ai festoyé de vos morts.
Vous nous avez pourchassés avec plus de férocité encore.
Je ne comprends pas.
Ils étaient de la viande.
Vous les aviez tués.
Nous sommes aujourd'hui peu nombreux.
Vous avez rétréci la forêt. Vous avez tué beaucoup d'entre nous.
Mais je continue de chasser et de nourrir mes petits dissimulés à vos yeux.
Je continuerai de le faire.
Je me demande si ceux d'entre nous qui vous ont rejoints ont fait le bon choix.
Ils ont perdu le désir de vivre en liberté.
Ils sont nombreux mais ils sont très étranges.
Je vous observe toujours pour savoir vous éviter.
Je crois que je ne vous reconnais plus.